J20 – Fin de Rakiura Track et retour sur le continent

31 05 2011

North Arm Hut, 7h30

Peu avant 5h30, deux kiwis se sont fait entendre. Je rallume le feu pour réchauffer un peu l’atmosphère. Dehors, le vent souffle toujours aussi violemment, et amène à intervalle régulier quelques averses.

Levé avant l’aube, je suis sorti me placer en affut. Rien à signaler de prime abord, j’attends que le jour se lève, patiemment, malgré le froid qui s’insinue doucement. Les premiers oiseaux diurnes se font entendre alors que le ciel s’éclaircit. Finalement, au moment où j’allais abandonner, quelque chose remue à la lisière de la forêt. Bien trop gros pour un kiwi, quadrupède, il s’agit sans doute d’une biche; toutefois impossible de discerner son espèce, commune ou queue blanche. Je rentre, satisfait, pour avaler un petit déjeuner simple, mais délicieux : tartines au miel et thé noir.

D’ici une bonne heure je vais repartir, le temps de ranger, vider les cendres, faire un peu de bois. Le trajet d’aujourd’hui est plus court, mais il comporte un tronçon très boueux d’après les dire d’un des rangers du DOC, et surtout la météo ne semble pas aussi clémente que hier, et s’il ne pleut pas, le soleil n’est pas prêt de se montrer.

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Monowai Lake, FJordland, 1er juin 2011, 18h00

Trajet : North Arm Hut – Oban – Bluff – Invercargill

D = 3231.7 km

Première mésaventure de ces trois semaines: alors que je préparais soigneusement du petits bois pour le prochain locataire de la cabane, ne voilà-t-il pas que la hache ripe sur le bois gonflé, gorgé d’humidité et vient entailler la nie de mon index. Rien de grave, si l’entaille d’une quinzaine de millimètres de long est profonde de quelques millimètres, ni l’os ni le tendon ne sont atteint. D’accord, la blessure pisse le sang, quelques impuretés sont présentes mais pas de quoi faire un drame. Un nettoyage sommaire, une trousse à pharmacie,  et quelques minutes plus tard un joli pansement orne ma main. Je m’occuperai de la désinfecter plus en détail ce soir.

Et voilà, 8h30, je me mets en route. Une demi-heure plus tôt que hier, sans le soleil levant, la forêt est plus sombre, mais par contre l’activité des oiseaux est plus vive à les entendre chanter. Bien qu’aujourd’hui je doive traverser le tronçon annoncé comme le plus boueux, je ne m’attends pas à plus de difficultés que hier. L’agent du DOC a toutefois omis de me prévenir que cet état de fait est engendré par la requalification du chemin, dont une partie du tracé est modifiée et recevra presque dans son intégrité de nouveaux aménagements. Pour ce faire, les anciens caillebottis et escaliers qui permettaient de traverser à pied sec cet été les endroits marécageux ont purement et simplement été retirés. Par conséquent, il ne reste plus qu’à fouler les zones humides, les chaussures dans la boue. Certains esprits chagrins me diront que je n’avais qu’à passer à côté. Toutefois, d’une part la progression y est rendue bien plus pénible par la présence régulière d’un entrelacs de branchages, fougères, et autres arbustes épineux ou pas, et d’autre part, les zones fallacieuses sont bien mieux camouflées par une couche d’humus jamais foulée par un être humain.

En règle général, il est possible la moitié du temps de marcher délicatement sur les bords du bourbier, sur du bois mort ou autres racines judicieusement placées dans la fange. Dans un quart des cas, le soulier ne s’enfonce que de quelques centimètres dans la boue, avec un petit bruit de succion et une perte d’efficacité dans la marche. Dans tout les autres cas, l’inconnu frappe à la porte : le sol peut s’avérer aussi solide que prêt à aspirer la chaussure au moins jusqu’au bas du mollet. Ce tronçon ardu ne dure toutefois que deux kilomètres et demi, jusqu’à Sawdust Bay. D’un avis très personnel, j’ai bien aimé cette partie du tracé. L’effort est certes plus important, mais cela correspond plus à l’idée que je me faisais d’un trek digne du nom de Great Walk. Sous cette appellation néozélandaise se cachent sept des plus belles randonnées du pays, dont Rakiura Track en fait partie. Ce sera la première et unique fois que je ne posséderai qu’un petit quart d’heure d’avance sur l’horaire préconisé par le DOC à la fin de cette partie. C’est vrai, j’avais presque oublié que l’horaire est établi avec un chemin en parfait état.

A partir de Sawdust Bay, quelques passages sont encore boueux, mais le chemin est similaire à celui que j’ai emprunté hier en deuxième partie de journée, avec des portions réduites d’aménagements. D’après ce que j’ai vu, cela risque de passablement changer dans les mois à venir, la requalification tend à simplifier le tracé en diminuant les dénivelées, et en prémâchant la marche avec des sentiers plus que très bien préparés. D’ailleurs, une petite pelleteuse mécanique a même été héliportée afin de faciliter le travail. Pour ceux qui ont parcouru le Chemin des Sens à La Tsoumaz, ce dernier est presque une piste de brousse en comparaison.

La forêt primitive de North Arm fait peu à peu place à une végétation régénérée à mesure que je me rapproche de Sawdust Bay, où deux scieries étaient encore actives entre 1914 et 1918. Peu après j’atteindrai le point le plus méridionale de mon aventure néo-zélandaise par 46°54’08’’ de latitude sud, à l’extrémité d’une plage de Prices Inlet. En remontant vers le nord, je rencontre une petite colline, où phénomène surprenant, de gros rochers arrondis, recouverts de lichens, sont apparents. De l’autre côté, Kaipipi Bay présente une côte découpée, dont la marée haute emplit les estuaires, où les eaux teintées d’un brun de Rakiura se mêlent doucement avec celle de la mer. La différence de salinité influence fortement les écoulements; les fluides se mêlent en de magnifiques rosaces et volutes. La traversée d’un pont permet de prendre pleine mesure tant de la complexité du phénomène que de l’enchevêtrement des côtes et des criques.

L’arrivée de l’autre côté de la baie marque un peu la fin de Rakiura Track. Je rejoins l’ancienne route qui reliait, dans les années 1860, la scierie de Kaipipi, employant jusqu’à 100 hommes, à Oban, déjà la principale agglomération de l’île. Si le chemin est toujours tracé, large brèche de 2 mètres dans la forêt, seule la présence à intervalles réguliers, d’arbres-fougères, de part et d’autre de la route, marque sa grandeur passée. La chaussée, autrefois recouverte de pierre, fut complètement défoncée par le passage des lourds chariots, tirés par des hordes de bœufs ou des attelages de chevaux. Les années sans entretien n’ont guère amélioré son état: elle disparait sous une épaisse couche d’humus. Seul le renflement central, épargné par le passage des attelages, surnage encore par endroits. Aujourd’hui, le chemin est quelque peu glissant. J’ai de loin préféré les passages boueux en pleines forêts, où il est nécessaire d’avancer par petits pas, plutôt qu’ici où la longueur des enjambées est arythmique : parfois longue, parfois courte, mais jamais la même.