J36 – Buller Gorge

16 06 2011

Lake Rotoroa, jeudi 16 juin 2011, 20h30

Trajet : Hector, Lake Rotoroa

D = 5382.9 Km

Depuis ce matin, le soleil ne cesse de briller, comme pour s’il fallait absolument démystifier le côté pluvieux de la West Coast. Sitôt déjeuné, je m’élance le long de Charming Creek. Une balade temporelle dans l’histoire néozélandaise. Quand les premiers colons débarquèrent au XIXe siècle, ils s’empressèrent d’exploiter les arbres des forêts vierges. Cela permettait d’une part de déboiser les futurs pâturages, d’autre part la source de revenu de cette industrie d’exportation a permis de fonder une économie locale. Toutefois, au fil des années, les beaux fûts, les longs arbres se faisaient de plus en plus rares. La dernière forêt véritablement exploitable dans la région de Ngakawau se trouvait retranchée derrière des collines, avec pour seul accès Charming Creek, une rivière non navigable. George et Bob Watson, propriétaire d’une scierie à Granity, le village d’à côté, décidèrent la construction d’un tramway dans la gorge menant à ces ressources inexploitées. Terminé en 1912, la ligne à la largeur standard néozélandaise de 1.07 mètres était reliée au réseau ferroviaire de l’époque. En 1926, suite à la découverte d’un sous-sol riche en charbon, Bob fonda la Charming Creek Westport Coal Compagny et prolongea la ligne jusqu’à la mine. L’entreprise employa jusqu’à 69 hommes, extrayant 43.385 tonnes  de charbon en 1949, une bien plus grande échelle que les précédentes scieries. Toutefois, l’utilisation de la ligne cessa d’être rentable avec la création d’une route reliant Seddonville à Charming Creek, et le dernier tramway circula le 5 septembre 1958.

Dès le début, le chemin suit la voie ferrée, dont le ballast est recouvert par une fine couche de particules de charbon. Avançant entre les rails rouillés, les anciennes traverses rythment les pas. Après avoir passé l’aiguillage où les wagons de charbons étaient déchargés, j’entame véritablement le parcours menant jusqu’à la scierie. Construite dans une gorge, serrée entre la rivière et la montagne, peu de place était disponible pour la voie : édification de ponts pour traverser de petits affluents, percement de tunnel pour passer à travers des promontoires verticaux, élaboration de ponts suspendus pour traverser le cours d’eau principal, … Je repense aux moyens de l’époque : la construction n’a pas été une mince affaire. Comme en témoigne la forme en « S » de l’Irishmen Tunnel, provoquée par une erreur d’alignement lorsque le forage fut commencé à partir des deux extrémités. Plus tard, les aléas de l’utilisation d’engins mécaniques dérangea l’exploitation  : rupture des freins, emballements des machines… tant de causes d’accidents. Sans compter des conditions météorologiques exécrables, parfois entraînant des crues, qui par trois fois emportèrent le principal pont. Mais la ténacité des colons était la plus forte. La promenade est bucolique, entre rails tordus, wagons abandonnés, engrenages et autres mécanismes rouillés, éparpillés dans la forêt. Le paysage n’est pas en reste, avec un cours d’eau s’écoulant bruyamment au fond de la vallée, une jungle restée vierge, accrochée aux flancs vertigineux des montagnes. A la sortie du tunnel, appelé Papa Tunnel, le paysage change complètement : la vallée s’évase, la jungle est remplacée par une forêt qui se régénère depuis la fin de l’exploitation, débris et vestiges de l’industrie parsèment les sous-bois, tels ces deux anciennes chaudières, dont le cylindre extérieur est complètement rongé par la rouille.

L’ancien tracé continue jusqu’à la mine de charbon, près de Seddonville, et disparaît au détour d’une courbe. J’aurais bien aimé le suivre jusqu’au bout. Toutefois, je retournerai sur mes pas, choisissant de ne pas prolonger cette randonnée, au bénéfice de la culture. De retour au parking, j’admire une dernière fois l’ancien tracé du tramway ainsi que juste à côté, l’usine actuelle exploitant un autre filon. Au lieu d’un tracé ferroviaire, une ligne aérienne, suspendue à des pylônes permet d’acheminer le charbon de la mine jusqu’à son lieu de raffinement. Empruntant en sens inverse la route parcourue hier soir de nuit et sous la pluie, je me rends compte que le paysage n’avait rien d’exceptionnel. De retour à Westport, je m’arrête au Coaltown Museum, un musée qui retrace l’histoire minière de la West Coast.

Comme nombre d’autres musées du pays, ce dernier regorge d’objet usuels : machines à coudre, boîtes à tabac, cendriers… plus dignes d’une personne atteinte d’une collectionnite aigüe. Il contient toutefois quelques outils particuliers, comme ces instruments utilisés par la première brasserie de Westport (embouteilleur, appareil à insérer un bouchon dans une bouteille ou à gazéifier manuellement la bière, ou encore ce bric-à-brac d’objets maritimes allant de la roue de gouvernail au moteur à vapeur d’une ancienne barge en passant par la lampe de l’ancien phare de Cape Foulwind. Une splendide collection de minéraux, donnée par un local décédé, me fascinera, notamment les pierres phospho- et fluorescente. La partie la plus intéressante se réfère à l’histoire de la West Coast. Si la salle relative à l’exploitation forestière n’amène pas d’informations nouvelles par rapport à ce que j’ai déjà lu et vu ces dernières semaines, les documents relatifs à la ruée vers l’or ou l’industrie du charbon est bien plus instructive.

L’or, ce métal jaune, qui a fait et fait toujours tourner les têtes. Symbole de richesse, matériau si durement arraché à la terre. Il est partie intégrante de la West Coast. Après que les premiers colons ont débarqué, commencé le dur leur du défrichement pour permettre l’exploitation agricole, la découverte des premières pépites au sud de Greymouth déclencha une ruée vers l’or, similaire à celle de San Francisco. Par milliers, pionniers, mineurs, sans-emplois débarquèrent d’Australie, de la veille Europe, … pour tirer parti de ces gisements. A pieds, à cheval, à partir des premiers villages, les hommes gagnaient ces villes champignons le long de la côte. Les plages prirent ces noms si particulier, lié à des distances : Nine Mile, Fourteen, Five Mile Beach, Three Mile Lagoon pour simplement désigner leur emplacement aux prospecteurs. Aujourd’hui, ces villages se reposent sur leur gloire passée. Dépérissant suite à l’abandon des gisements devenus à peine rentable, leur population n’a cessé de décroître, alors que certaines possédaient des lignes maritimes directes avec les grandes villes du mondes, telle Charleston relié à Melbourne.

Au nord de Buller River le métal jaune était plus rare. Par contre, le charbon, véritable or noir, a créé des fortunes, érigé des villages entiers, entraîné des innovations technologiques. La première estimation fût donnée par un certain Julius von Haast, le chiffre fit tourner les têtes, jusqu’à celles du gouvernement qui décida la prolongation de la ligne ferroviaire depuis Greymouth, jusqu’à Westport puis Granity au plus près des mines. L’innovation la plus importante fut sans doute celle du plan incliné. Si l’idée est une reprise des mines d’or, jamais elle n’avait été mise en œuvre dans des proportions aussi gigantesques que celui de Denniston : les chariots, emplis de la précieuse ressource, descendaient le long d’un plan incliné. Un peu plus de deux minutes étaient nécessaires aux chariots afin de dévaler les 548 mètres de dénivellation, entraînés par leur propre poids. Attaché à un long filin métallique, la vitesse des chariots était régulée manuellement; la présence d’un énorme tambour de frein – 4 mètres de diamètres – permettait de les freiner à leur arrivée sur un replat à mi-parcours, nécessaire pour les orienter sur le deuxième tronçon, présentant une pente de 80%. Au milieu du XXe siècle, il fut fermé après 88 ans de loyaux services. 2 jours plus tard eut lieu le fameux tremblement de terre de Murchison – 7.5 sur l’échelle de Richter – qui l’endommagea profondément. Avant de quitter le musée, un petit passage dans la reconstitution d’une galerie charbonnière avec chariots, pics, pioches, loupiotes n’apportant guère plus qu’un mince halo lumineux.

Je quitte Westport pour rentrer dans les terres, direction Murchison, puis Lake Rotoroa, dans le Nelson Lakes National Park. La voie la plus courte emprunte la SH6, qui remonte dans Buller Gorge. A l’approche des montagnes, la vallée se resserre rapidement autour de la rivière, les parois se redressent. Arrivé au coude dénommé « Fer à Cheval », la route se réduit à une seule voie. La paroi, plongeant verticalement dans le fleuve, fut creusée pour laisser passer les diligences. De nos jours, l’ouvrage ne fut pas agrandi, aucun tunnel ne fut percé. La solution la plus simple, et la plus économique, fut de simplement installer deux feux de signalisation pour réguler le trafic automobile. Passé ce point, la rivière se met à serpenter dans une large plaine, occupée par des pâturages. Cette liberté est de courte durée. Sitôt passé la confluence avec Inangahua, la gorge reprend ses droits. La vallée ne sera plus aussi vertigineuse qu’auparavant, mais la route est confinée sur les hauteurs.

Arrivé à Lyell, alléché par un panneau indiquant « historic area », je ne me soustrais pas à son attirance. A part le rare fait d’une prairie complètement ensoleillée, une maison perdue au fond du vallon, rien d’exceptionnel n’émane de ce lieu. Et pourtant, lors de la ruée vers l’or, ici même, s’élevaient 6 hôtels, 3 banques, 1 école, 1 cabinet médical dont le docteur enseignait la médecine. Jusqu’à 3500 personnes y vécurent et Lyell posséda même la deuxième faction de police professionnelle de Nouvelle Zélande, forte de 12 hommes, une véritable révolution. Aujourd’hui, il n’en reste plus grande chose, si ce n’est quelques photographies noirs et blanches, montrant que la route passe à travers l’emplacement de nombreux anciens bâtiments. Un chemin historique permet de revivre l’aventure. Après avoir passé près du cimetière ayant servi de 1870 à 1900, perdu dans la forêt, un petit chemin amène jusqu’à l’Alpine Battery. Batterie, ce terme que j’avais régulièrement entendu ces derniers jours, ces instruments mécaniques permettant de réduire en poudre l’amalgame quartz et or, afin d’en récupérer le précieux métal. Je n’avais aucune idée de son fonctionnement, ni de sa forme. Perdu en pleine végétation, au bord de New Creek, au pied d’une ancienne mine, une ancienne batterie, replacée sur un support par le DOC, continue de rouiller. Mais maintenant, j’en sais un peu plus sur son mode opératoire. Pour la petite anecdote, l’un des plus fameux mineurs de la vallée fut Biddy of The Buller. Bridget Goodwin de son prénom, ce petit bout de femme, haut de quatre pieds (1.2 mètres), lourd comme sept pierres, est née en Irlande. Vétérante des mines d’or d’Australie et de Nelson, à son arrivée en 1860s à Lyell, elle était entourée de ses deux compagnons, pour qui elle gérait l’argent. Après une vie passée à acheter des biens de premières nécessités, du tabac – le plus fort est le meilleur – et du whiskey, elle se retira à Reefton où elle mourut en 1899, âgée de 86 ans.

Mon prochain arrêt sera aussi historique que rigolo. A 16 kilomètres de Murchison, je décide de payer un droit de passage pour traverser le plus long swingbridge de Nouvelle-Zélande, avec une travée de 110 mètres. Le nom de swingbridge fait référence à un pont suspendu, ne laissant le passage qu’à une seule personne de front. Je m’attendais à une traversée un peu plus oscillante, au moins du même niveau que ceux des ponts suspendus de la Copland. Au final, cela s’avère bien moins rigolo. Toutefois, de l’autre côté une petite balade nous amène à un des épicentres du tremblement de terre de Murchison du 17 juin 1929, à 10h17, atteignant 7.8 sur l’échelle de Richter. S’il y eut plusieurs épicentres, celui de White Creek Fault est le plus impressionnant : une falaise de 4.5 mètres de haut sépare les deux côtés de la faille. Scindant la route en deux niveaux, la violence de l’événement fut telle que le granite rose de la région changea localement de couleur sous la contrainte imposée et présente aujourd’hui une strie grise dans le prolongement de la faille. Je retourne de l’autre côté de la Buller River en Flying Fox, une sorte de tyrolienne équipée d’une chaise pour le confort. Cette méthode fut souvent utilisée durant le XIXe siècle dans tout le pays pour traverser les nombreuses rivières. Aujourd’hui, elle est soit utilisée comme attraction touristique, comme ici avec une portée de 160 mètres, soit comme à son origine pour franchir des cours d’eau, notamment sur la Dusky Track, une des plus difficile marche du pays située dans le Fjordland.

Je passerai à Murchison presque sans m’arrêter, l’office du touriste étant fermé et poursuivrai ma route jusqu’à Lake Rotoroa, l’un des deux lacs de Nelson Lake National Park. Peu à peu, les forêts naturelles disparaissent, alors que je vois à nouveau des plantations de pins, les premières depuis plus de trois semaines, quand je les avais abandonnées après Blenheim. La vallée devient moins sauvage, plus civilisée avec un nombre croissant de fermes; même l’importance du trafic augmente. Le décompte des véhicules rencontrés par heure demande maintenant les deux mains. Alors que je m’approche de l’extrémité ouest du lac, en remontant un vallon à la large plaine, j’apprécie le coucher de soleil sur le Mount Hopeless, dominant les Travers Range. A mon arrivée au bord du lac, je ne pourrai immortaliser que les dernières couleurs, pâlissant sur les sommets. Alors que je prépare mon souper, je discuterai avec un couple de Coaster sexagénaire, en vacances dans le coin pour le weekend. Leur moyen de locomotion, un campervan comme Hibiscus, sans les taggues décoratifs extérieurs, mais avec un intérieur bien plus personnalisé. Je serai d’ailleurs jaloux de la cuisinière à double foyer. Quoique, depuis que j’ai acheté le brûleur pour la petite bonbonne de gaz Primus – utilisée sur Rakiura Island, puis à Welcome Flat -, il est vraiment plus facile de garder mes petits plats au chaud.

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J34 – Wild West Coast

14 06 2011

Cobden Beach, mardi 14 juin 2011, 20h30

Trajet : Okarito – Greymouth

D = 5040.9 Km

Hier de nouveaux tremblements de terre ont secoué la région de Christchurch, 5.5 sur l’échelle de Richter à 13h00 suivi d’un écho plus violent à 14h20, dont la magnitude a atteint 6.5. Sur la Côte Ouest, rattachée à une différente plaque tectonique, je n’ai rien senti et me porte toujours comme un charme, excepté quelques courbatures dans les jambes ce matin.

Avant de me mettre en route pour remonter la côte vers le Nord, je traîne encore un peu à Okarito. Alors que je déjeune, le soleil teinte d’une couleur mordorée les brumes au-dessus du lagon. Si les couleurs auront changé le temps que j’atteigne les rives, elles appartiendront toujours à la palette de l’aube : bleu azur, rose saumon,  orange clair,… une véritable fresque picturale. Alors que je profite du wharf pour m’avancer au-dessus de l’eau, un héron blanc vient se poser sur la cabane

Devant la quiétude du lieu, la douce chaleur du soleil levant, j’aurais volontiers loué un kayak pour m’aventurer dans le lagon. Toutefois, les deux échoppes sont fermées l’une pour deux semaines de vacance, l’autre pour l’hiver complet. Dommage. Cela doit être magnifique de pagayer tout en admirant le sublime horizon des Southern Alpes, avec l’Aoraki/Mt Cook, le Mt Tasman ou encore le Mt Sefton se profilant au loin. Sur la route me ramenant à l’intérieur des terres, une petite balade du DOC m’amènera au sommet d’une butte. De là-haut, ma vue porte sur le lagon entier, s’étirant le long de la côte, séparé de la Mer de Tasmanie par une longue bande de terre.

Et voilà, j’ai rejoint la Highway SH6, partant d’Invercargill, passant par Wanaka et remontant la West Coast, avant se terminer à Nelson. Si sur la côte Est un certain nombre de routes permettent de multiplier les itinéraires, de ce côté-ci, un seul chemin permet de circuler du Nord au Sud ou inversement. Depuis Haast, elle déroule son long ruban d’asphalte entre deux murs végétaux; parfois quelques pâturages brisent la monotonie des arbres-fougères, matais et autres essences indigènes, à moins qu’en s’approchant d’un lac, la vue s’étende jusque de l’autre côté. Aujourd’hui comme hier, je traverse les forêts et les réserves naturelles, peu de villages égrènent le long de la route, Whataroa, Harihari, … parfois quelques fermes solitaires parsèment de vastes clairières, où paissent des troupeaux de vaches. Les kilomètres défilent au compteur, la longue route continue de dérouler son ruban rectiligne, parfois entrecoupé d’une grande courbe. Seule la présence de quelques monticules la transforme pour une dizaine de virages serrés en route de montagne à aborder à vitesse réduite, puis elle reprend son caractère droit. Peu à peu, les sommets des Southerns Alps disparaissent derrières les crêtes de la forêt. Alors que le bleu du ciel n’est entaché que par un petit nombre de nuages, une forte brume s’élève des cours d’eau et des lacs, rampant au-dessus de la plaine, nimbant arbres et clôtures. Seule l’orée de la forêt forme une barrière assez puissante pour le contenir. L’odeur étrange mais pas désagréable des feux de charbons plane autour des maisons, d’où la lourde fumée, s’échappant de la cheminée, se mélange avec le brouillard.

Malgré quelques arrêts pour profiter des paysages rendus si étranges par la brume, le temps s’écoule lentement, seul derrière mon volant. J’arrive enfin à Pukekura. Une centaine de kilomètres me sépare déjà d’Okarito. En chemin, rien d’intéressant. Une balade le long de la côte à Harihari aurait pu m’emporter à travers le bush. Mais, lassé par cette végétation, elle ne m’attire point. Par contre, ici, à Pukekura, ce petit hameau compte une petite merveille de la West Coast, le Bushmen Museum. Entre plaisanteries, récits véridiques, et mythes locaux, il raconte l’histoire récente de la West Coast. Je ne vous relaterai pas les histoires liées aux opossums, ni celle des anguilles géantes, encore moins l’industrie des mousses végétales exportées en direction des pays asiatiques, … toutes ces histoires relatives au passé, et encore au présent des Coasters, ces habitants de la West Coast à la culture si différentes du reste de l’île. Je me contenterai de vous narrer ce qui fut l’une des dernières grandes aventures néo-zélandaises.

Tout commença en 1851 dans la région de Nelson quand deux biches et un cerf furent relâchés dans la nature. Neuf ans plus tard, la région comptait pas moins d’une septantaine de cervidés. Devant ce succès, d’autres lâchers eurent lieu sur les deux îles. En 1920, les premiers avertissements sont formulés au sujet des impacts sur la faune et la flore locale de ces mammifères. Dix ans plus tard, le problème est devenu national, le gouvernement décide d’agir pour contrôler le nombre de cerf. Dans les années 1950, n’ayant pas réussi à enrayer la croissance, la création d’une milice de chasse nationale, forte de 100 à 125 hommes à temps complet, est décidée. Malgré le tire de 50 à 65 mille bêtes annuellement, cela n’était toujours pas suffisant et elle ouvrit la chasse aux amateurs et autres professionnels. Dès cet instant, tous les moyens furent bons pour traquer le gibier et récupérer les carcasses, aux véhicules utilitaires succédèrent les tracteurs modifiés, les jetboats ou encore les petits avions capables de se poser sur des terrains réduits. A la fin des années 1950, les chasseurs héliportés firent leur apparition : le pilote conduit l’hélicoptère, petit et maniable, suivant les cerfs, tandis que le chasseurs les ajustent en plein vol. En général, un troisième homme aide à la manœuvre quand il s’agit de suspendre les carcasses à un crochet pour les ramener en plaine. Bien que les accidents soient réguliers – il y eut plus de 80 morts –, les équipes sont de plus en plus nombreuses. En 1967, 110’000 cerfs seront abattus durant l’année, générant une industrie d’exportation pesant plusieurs millions de dollars.

Toutefois, le déclin des troupeaux sauvages conduisit les chasseurs à devenir éleveurs. Toutefois, au lieu de se tourner vers les traditionnels animaux, ils décidèrent d’élever des cervidés. L’étape la plus difficile fut de capturer des animaux en état de se reproduire. Aux techniques rudimentaires initiales, telles que sauter de l’hélicoptère sur le dos d’une biche pour l’arrêter, succédèrent des trésors de l’ingéniosité kiwie : fusil à superball pour assommer plutôt que tuer le gibier, arbalète à fléchette soporifique et finalement le fusil à filet, instrument le plus efficace. Si efficient, que les chasseurs néozélandais furent appelé aux Etats-Unis et au Canada afin de chasser élans et wapitis destinés à l’élevage. Si aujourd’hui le temps des chasseurs embarqués dans les hélicoptères est révolu, ce dernier est toujours utilisé que ce soit par l’industrie forestière, afin de procéder à des coupes sélectives, ou encore par les amateurs pour sortir le gibier des profondes contrées forestières. Par ailleurs, si les cerfs, chamois, chèvres ou encore thars sauvages sont encore chassés par les amateurs, les professionnels traquent d’autres proies : opossums et autres nuisibles introduits par les colons, afin de préserver les espèces locales.

Poursuivant ma route, je découvre Ross, une des autres villes dont la gloire est passée depuis de longues années. Créée au milieu du XIXème siècle, suite à la découverte d’or dans Totora River, elle compta jusqu’à 3500 chercheurs. Phénomène rare, le précieux métal se présentait sous toutes ses formes : dépôts alluvions, imbriqués sur le quartz ou encore simplement sous la forme de pépites dans le sable de la plage. Ross devint très rapidement la capitale aurifère : investissements et ingéniosités permirent la construction d’équipements miniers de haute qualité. Au traditionnel crible du début succéda sluice box, minage hydraulique par projection d’eau, ground sluicing ou encore l’utilisation de barges pour prospecter les dunes des lagons. Toutes ces techniques nécessitaient quantité d’eau : des bisses furent construits, la plupart du temps à flanc de colline. Toutefois, afin de raccourcir les distances, de nombreux tunnels furent creusés, des aqueducs érigés, dont le plus important mesura 170 mètres et s’élevait à 40 mètres au dessus du sol. La plus grande des mines, aujourd’hui devenue un lac, descendait jusqu’à 90 mètres, 45 mètres au-dessous du niveau de la mer. Pompes entraînées d’abord par les chevaux, puis par des roues à eau et enfin des machines à vapeur assuraient un débit de 100 litres par seconde, la maintenant à sec contre marées et pluies. En 1909, la plus grosse pépite néozélandaise y est découverte, pesant 2.772 kilogrammes. Achetée par le gouvernement, elle fut offerte au roi George V. La quantité d’or découvert devint insuffisante par rapport aux investissements et la ville déclina peu à peu. Depuis une dizaine d’année, alors que le gisement est encore estimé à 10’000 millions d’onces, quelques velléités d’exploitation resurgissent.

Coden Beach, mercredi 15 juin 2011, 7h00

Pour le simple badaud, une petite promenade, Waterace Walk, qui suit en partie l’ancien bisse principal permet de se lancer à la découverte de la fabuleuse histoire de la ville. Le tracé longe Totora River et divers anciens équipements sont présentés depuis une route à eau, jusqu’à la buse hydraulique. A Jones Creek où l’on peut s’essayer à l’orpaillage, un panneau du DOC promulgue les différentes règles, telles que laisser la nature intacte, ou les outils autorisés : pics, pioches, panières et en aucun cas moyens motorisés. L’itinéraire quitte la route forestière pour un petit sentier à l’endroit où fut découverte la première pépite. Le tracé s’enfonce dans la forêt, où de nombreux vestiges des temps passés sont encore visibles, peu à peu rongés par la nature : tuyau en fer percé par la rouille, tunnels à moitié effondrés, remugle d’un ancien aqueduc, sillon d’un long bisse,… Le cottage d’un mineur, datant de 1885, n’est pas si différent de ceux édifiés par les Gumdiggers tout au Nord de la Nouvelle-Zélande. Je ressors du couvert végétal à l’ancien cimetière, presque fantôme. Quelques tombes éparses à flanc de colline, protégées par des enclos rouillés, voient leur pierre tombale peu à peu glisser dans la pente. Le visiter une nuit de pleine lune, alors que la brume étend ses longs filaments entre les hautes herbes, que des chouettes Morepork hululent, doit être une expérience inoubliable. Sympathique balade.

Une bande de pâturage me sépare de la mer, alors que je pensais la longer jusqu’à Hokitika. Avant de découvrir la ville, un petit détour par Hokitika Gorge s’impose. Après avoir entendu ma réponse à propos de la beauté des Blue Pools sur le col du Haast, Annika m’avait fait promettre de passer par cet endroit, où la magie des glaciers est mille fois plus merveilleuse. La petite boucle d’une soixantaine de kilomètres en vaut largement la peine. A nouveau, un sentier parcourt la forêt, bientôt remplacé par une passerelle à flanc de paroi. Soudain, Hokitika River, dans sa livrée lapilazuli se dévoile, coulant paisiblement entre deux rives aux blancs rochers, sur lesquelles s’accrochent la mousse, puis une dense végétation. La palette de couleurs est magnifiqu; je regrette un peu le ciel d’un blanc voilé. Alors que partout ailleurs, les eaux chargées de Glacier Flour, littéralement « farine des glaciers », possèdent cette teinte bleu-vert si particulière, ici comme aux Blue Pools, la coloration est plus transparente, plus bleue, … Un pont suspendu traversant la rivière permet de profiter encore plus de la magie qui émane de cette endroit. Au bout du chemin, menant à des rochers formant l’extérieur d’un des coudes de la rivière, le spectacle est encore plus beau. En aval, la rivière s’écoule sous le pont, avant qu’une paroi blanchâtre la détourne vers la plaine. En amont, le lit ondule entre les deux rives sur lesquelles se dresse une majestueuse jungle. Un des nombreux moments, comme celui que j’ai vécu à Roberts Point, où je m’assois simplement à regarder la nature, mes pensées divaguant au loin.

De retour à Hokitika, je passe par l’office du tourisme récupérer un guide des bâtiments historiques de la ville, dont la fondation remonte au 1er octobre 1864 quand Hudson et Price furent les deux premiers résidents blancs de cet endroit précédemment occupé par les maoris. La ruée vers l’or les suivit de près et Hokitika devint une véritable ruche. Aujourd’hui, l’or a changé de couleur; de jaune, il est devenu vert. Non comme les dollars étasuniens, mais la teinte du jade. Hokitika était déjà connue à l’époque des maoris comme l’un des principaux gisements de pounamu. Ville bourdonnante durant l’été, tout autant qu’à l’époque où les barges étaient nombreuses le long des quais, durant l’hiver elle sombre dans une torpeur mélancolique. La cité n’est pas franchement belle, quelques anciennes bâtisses lui donnent toutefois un certain charme. J’ai longé le quai jusqu’au mat de signalement, qui permettait au XIXe siècle d’indiquer l’état de la mer proche du rivage pour les navires approchant, avant de revenir le long de la plage. Entre sable et galets, battus par le vent balayant la Mer Tasmane, la brise est rafraichissante. De retour dans les rues, déambulant, je n’arrive pas à me sentir à l’aise dans cette ville, comme si je n’y avais pas ma place. Je retrouve la même sensation de vide qu’à mon arrivée à Oamaru sur la côte est.

N’ayant plus de chaussettes propres ou sèches, les habits salis par une semaine où les randonnées furent mes principales activités, l’intérieur d’Hibiscus ne sent plus franchement la rose. A la recherche d’une buanderie afin d’y faire une bonne lessive, j’en trouverai une, malheureusement fermée. Un passage par l’office du tourisme confirme mes doutes, il n’y a pas d’autre machine à laver public à Hokitika. N’ayant pas l’envie de me poser dans un backpacker, et le soleil n’étant pas couché, je décide de reprendre la route, direction Greymouth, une quarantaine de kilomètres au nord. Avant de partir, je rends visite à un magasin vendant des bijoux en Pounamu, fabriqués par des artisans locaux. Nombreuses sont les belles pièces exposées, mais bien souvent au-delà de portée pour ma bourse. J’y apprendrai toutefois qu’une partie des pierres brutes proviennent d’Arahura River. Le cours d’eau étant sur mon chemin, un arrêt est nécessaire pour prospecter les environs. Une demi-heure plus tard, je repartirai bredouille. J’ai bien emporté un caillou-souvenir, mais je doute qu’il s’agisse de jade.

A Greymouth, premier arrêt au supermarché pour avitailler une nouvelle fois ma cambuse. Je ne sais pas comment il se trouve, mais elle se vide presque plus vite que je ne la remplis. En allant jusqu’à la buanderie, indiquée par une gentille caissière, je passe devant la piscine nautique. Jusqu’à ce qu’Annika me souffle le mot l’autre jour après la marche, je n’avais jamais pensé à simplement aller à la piscine pour se laver à l’eau chaude. En plus, avec un prix d’entrée d’environ cinq dollars, la douche n’est pas plus chère que dans un sanitaire public, avec un grand avantage en plus, le temps est illimité. Que du bonheur! Ce soir je dormirai propre comme un sous neuf, dans des draps fraîchement lavés. Après la lessive, je chercherai en vain un endroit où me connecter à internet. D’une part, j’espérais trouver cette ressource dans une ville de 10’000 habitants, d’autre part j’aurai bien aimé donner quelques nouvelles de mon état de santé. Je suis persuadé que certaines personnes doivent se faire du souci. Je finis par abandonner, et gagner Cobden Beach sur l’autre rive de Grey River pour y passer la nuit.

Longue journée, j’ai toutefois un sentiment d’insatisfaction. Il doit s’agir d’une des journées ou j’ai roulé le plus, la majorité du temps, enserré entre deux murs végétaux, sans toutefois que le nombre de grandes découvertes au long de la journée soit important. Je ressens un sentiment d’incomplétude, proche de celui que j’avais ressenti après avoir quitté Aoraki/Mt Cook National Park, comme si la rupture entre les fabuleux paysages et les villes est trop importante. Aller! une bonne nuit de sommeil et demain ça ira mieux.

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